samedi 29 décembre 2012

Eloge de la sérendipité


Dans le conte persan Les trois princes de Sérendip [1] les héros trouvent fortuitement ce qu'ils ne cherchent pas. 
C'est étymologiquement l'origine du mot "sérendipité"[2], concept selon lequel, le hasard peut largement contribuer à une découverte. Je dois dire que l'idée même d'accorder une place au hasard peut surprendre à une époque ou chacun s'efforce de structurer toujours davantage les processus d'analyses et de décisions. 
Souvenons nous tout de même que le hasard est à l'origine de nombreuses découvertes, les rayons X par Röntgen, la vulcanisation du caoutchouc par Goodyear ou plus récemment le Sildénafil (Viagra) découvert dans la cadre de recherche d'un médicament contre l'angine de poitrine. Alors, chance, hasard, intuition, empirisme? Peut on favoriser ce "coup de pouce" parfois déterminant dans nos entreprises?  Comment tirer partie des technologies de l'information pour développer cette sérendipité dans nos organisations?

Faciliter la communication

Dans le monde 2.0, la circulation de l'information est en principe facilitée. Les réseaux sociaux d'entreprise, chats, et autres blogs, viennent compléter les mails, les réunions et la machine à café. Il y a donc une véritable opportunité en favorisant cette communication de créer de la valeur ; l'accession à de l'information, qu'elle soit considérée comme utile ou non par le management, comble non seulement les défaillances des circuits d'informations managériaux traditionnels mais accroît les possibilités de sérendipité. Celle ci joue alors un rôle  qui peut être aussi important que la réflexion structurée, en confrontant tout un chacun à la masse d'information disponible. Combien de fois ai-je entendu "si on m'en avait parlé...", "untel aurait pu éviter ce problème...", c'est bien la circulation défaillante de l'information qui créé aujourd'hui bon nombre de dysfonctionnements, que ce soit en ralentissant la prise de décision ; le bon acteur n'a pas la bonne information ; ou en conduisant à une mauvaise décision ; le bon acteur n'est tout simplement pas informé, consulté.
Alors bien entendu, il ne s'agit pas de tout miser sur la chance ou le hasard, mettre à disposition de tous, toute l'information disponible, n'est ni souhaitable ni envisageable et ne saurait constituer une solution pour l'entreprise. En revanche, pourquoi ne pas intégrer dans nos modèles d'organisations, les éléments qui favoriseront cette circulation de l'information en dehors de circuits managériaux classiques pour mieux répondre à la complexité croissante de nos processus.

Adapter les organisations 


On a vu le potentiel offert par la circulation de l'information, je ferai mienne l'idée de James March et Herbert Simon [3] qui dépeignent l'organisation comme un véritable outil de communication, une composition hybride entre la structure hiérarchique et le réseau des processus. La thèse de leur ouvrage est que l'organisation de l'entreprise doit servir à porter les flux d'informations, le management dont c'est la fonction n'est qu'un des éléments favorisant ces échanges mais il est souvent insuffisant pour satisfaire la réalisation de processus complexes qui nécessitent des ajustements constants. S'appuyer uniquement sur les managers pour faire circuler l'information, quel que soit le modèle d'organisation de l'entreprise, est aujourd'hui insuffisant. L'économie temps réel, avec sa logique de réactivité maximale, a depuis longtemps mis à mal les systèmes hiérarchiques pyramidaux ; les modèles d'organisation visent traditionnellement l'efficience alors qu'il faut aujourd'hui viser la prise en charge de la complexité. Pour autant existe t'il vraiment une méthode miracle permettant d'améliorer significativement le modèle d'organisation pour en améliorer la capacité d'adaptation, la réactivité et la création de valeur, l'abolition ou l'effacement de la hiérarchie sont elles une solution? L'entreprise idéale ne serait elle pas organisée selon un modèle qui facilite la communication "virale", en petites structures auto organisées, en développant ce que les anglais appellent "empowerment" [4]?
L'organisation d'aujourd'hui se doit, dans tous les cas, de susciter les idées, l'énergie la créativité de chaque employé, des acteurs terrain jusqu'au top management. Ce dernier échelon ne suffit plus à lui seul à faire la différence dans la compétition, mais les résistances sont nombreuses et le "lâcher prise" nécessaire se heurte à la constante recherche de pouvoir des dirigeants qui en tire une certaine forme d'illusion de leur toute puissance. Certains collaborateurs peuvent de leurs cotés être mal à l'aise avec cette  notion qui leur laisse à penser qu'il agissent hors de tout contrôle et provoque pression et anxiété.
Le chemin est donc difficile à trouver et devra sans doute être progressif pour aboutir à la transformation de l'organisation qui permettra de passer durablement du micro management trop répandu, à une circulation optimum de l'information qui favorise la sérendipité, tout en optimisant l'atteinte des objectifs de l'entreprise.  



[1] Les trois princes de Sérendip dont le passage le plus connu est celui du chameau « J'ai cru, seigneur, que le chameau était borgne, en ce que j'ai remarqué d'un côté que l'herbe était toute rongée, et beaucoup plus mauvaise que celle de l'autre, où il n'avait pas touché ; ce qui m'a fait croire qu'il n'avait qu'un œil, parce que, sans cela, il n'aurait jamais laissé la bonne pour manger la mauvaise ». Ce conte a entre autre inspiré Zadig de Voltaire où le héros décrit de manière détaillée un cheval en déchiffrant des traces sur le sol.
[2] Le terme a été utilisé pour la première fois en 1754 par Horace Walpole, écrivain anglais, en lui donnant comme définition "making discoveries, by accidents and sagacity, of things wich one is not in quest of".
[3] Les organisations - 3e édition de James March et Herbert-A Simon, éditions DUNOD
[4] Empowerment : processus par lequel les individus, les groupes ou les organisations acquièrent le contrôle des évènements qui les concernent. Le sociologue américain Saul Alinski est considéré comme précurseur de cette notion. Il n'y a pas d'équivalent français, certains parlent de capacitation.

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